Fatima Zohra Guéchi, « Composition, délibération et prise de décision dans le diwan de Haj Ahmed, (dernier) Bey de Constantine »
ديوان الحاج أحمد، آخر بايات قسنطينة : التركيبة، المداولة واتخاذ القرار
Hadj Ahmed « s’est mis à la tête de tous les grands de la province dont il a composé un divan qui le commande aujourd’hui. En résultat, il n’est maîte qu’à demi de ses volontés» (tiré de G.Esquer, correspondance du Duc de Rovigo, t.2. p. 192 ; Lettre au M.G., 22 octobre 1832.)Temimi, p. 65.
Cette remarque que fait le Duc de Rovigo – en 1832- dans sa correspondance à son ministre de la guerre a la tonalité d’une critique à l’égard du Bey Ahmed qui serait assujetti à son diwan/ Mejles ou conseil consultatif ?
Trois mois plus tard, il récidive et confirme et explicite son point de vue : « Hadj Ahmed a bien l’air d’un homme dominé par son divan et ne pouvant agir librement et comme le lui conseilleraient ses intérêts bien entendus » (Lettre au général Monck d’Uzer, 29 janvier 1833. (G.Esquer, ibid, p. 446). Ibid. p. 65.
Prise au premier degré, comme l’entendait son auteur, cette remarque nous présente un homme sous influence, incapable de prendre une décision.
Mais lue sous d’autres autres angles, « cette appréciation », ouvre le débat autour de la composition du diwan de Hadj Ahmed Bey et de son rôle dans la prise des grandes décisions. Comment ce « despote et sanguinaire » selon la littérature coloniale se comportait-il à l’égard de ses sujets ? Comment choisisait-il les membres de son Mejlès/ makhzen ou de son diwan pour diriger le Beylik de l’Est (1826-1830)? Comment s’est- il acquitté de la charge de Bey « Pacha » dont il a été investi par son diwan élargi, après la chute d’Alger en 1830 ? Quelles relations dialectiques entre l’acte de bay’a, allégeance et les nominations des cheikhs de tribus et des qaids ?
En essayant d’approfondir ces questionnements et d’y apporter quelques éclairages puisés dans les écrits de l’époque, nous pouvons approcher les modes de délibérations et de prise de décision dans ce « dernier » diwan de l’ère ottomane en Algérie.
- La composition du diwan d’Ahmed Bey avant et après 1830 : Commençons par signaler la dualité des prérogatives de certains membres de ces Mejlès ou diwan. Nommés par le bey dans les hautes fonctions du Beylick, ces personnalités siègent plus ou moins régulièrement dans ces assemblées (hebdomadaires) en moyenne pour décider des affaires publiques. Mis à part les fonctionnaires de l’administration, la présence des quatre plus hautes personnalités religieuses représentant les deux rites hanefite et malékite (deux muftis et deux qadis) est un gage de délibérations certain, puisqu’il leur faut discuter toutes les questions pour respecter la licéité des décisions. La place du Cheikh El Islam et cheikh el balad à Constantine est à part puisque sa nomination et le renouvellement de sa charge –hérédiatire- revenait au Dey d’Alger, directement ; même si l’avis du Bey en exercice devait compter aussi.
- La configuration ou l’organigramme de l’exécutif ne change pas beaucoup d’un Dey à un autre ou d’un Bey à l’autre ; cependant, la composante humaine et socio ethnique peut faire la différence. En cela, les expériences des prédécesseurs constituent une bonne leçon dont chacun s’inspire selon ses dispositions et selon son entourage. Cettains gouvernants (Pachas ou beys) sont une source d’inspiration voire des modèles par leurs réalisations et leur réusssite d’autres au contraire sont des contre modèles dont il faut éviter d’en suivre le chemin. C’est pourquoi, nous relevons des limogeages et des nominations de nombreux fonctionnaires à chaque investiture. Quelques années plus tard, quand le vent aura tourné, certains reviennent au devant de la scène. Ceci s’explique, aussi, en partie par le nombre restreint de ces fonctionnaires agguerris qu’on ne peut remplacer définitivement à chaque investiture, surtout à un moment de grande instabilité où la durée moyenne d’un mandat de Bey ne dépassait pas les deux années.
- Les relations proches : réservoir des nouveaux fonctionnaires : Le Bey devenant le premier parmi ses pairs, primo inter pares, n’est autre que l’un d’entre eux, parvenu après de longues années de service à ce poste de commandement si convoité. Le nouveau bey puise donc dans ses relations – au sens large- les noms et personnes de confiance qui formeront son nouveau diwan. De quelle latitude dispose-il ? Quelles contraintes dans les postes de grande proximité (responsables directs)? Si la latitude est assez grande, relativement pour nommer son khalifa, adjoint direct qui le seconde en cas d’absence ou le remplace pour petit denouche et ls petites expéditions punitives, pour le khaznadji, le bach Kateb et ses secrétaires, voire même pour nommer les deux qadis et les deux muftis, car la conccurrence est de mise et la Constantine ne manque de compétences parmi les Ulama ; Choisir des qaids et surtout des chefs de tribus nécessite une réelle connaissance du milieu tribal pour mesuter le poids politique des uns et des autres. C’est pourquoi, des liens d’alliances matrimoniales sont noués et renouvelés à chaque génération pour s’assurer la fidélité des plus dominants.
- La bay’a, acte d’allégeance et de reconnaissance mutuelle entre le Bey et les chefs de tribus. Après la nomination du Bey par le pacha et son investiture dans son Beylik, les chefs de tribus viennent à Constantine pour renouvler l’allégeance au nouveau bey et lui signifier l bay’a au nom de leur tribu ; Mais les plus influentes des tribus ont été « makhzénisées » par une reconaissance mutuelle symbolisée par le rituel du Qaftan d’investiture qui st remis successivement au Cheikh al Arab, cheikh al Hanancha et celui des Moqrani après le Bey. La latitude qui reste ou le choix dont dispose le bey consiste à reconduire l’ancien cheikh ou à lui préferer son frère ou son cousin, si le premier s’est compromis avec ses « ennemis ». Les nominations des qaids, bénéficiaires d’apanages (impôts d’un certain nombre de tribus), donnent elles aussi à des tractations et beaucoup de concuurence et de convoitises.
- Consultations et délibérations : Les prérogatives du diwan face au Bey. En réalité, le rôle des membres du Diwan est de proposer des solutions, chacun dans son domaine et d’en convaincre surtout le Bey. Les dicussions peuvent être âpres mais la décision revient évidemment au premier responsable qui détient le dernier mot. Très peu d’écrits – qu’il faudra retrouver et relire – rapportent les procès verbaux des séances des Mejlès du Bey ou du Dey pour évaluer correctement la nature des questions soumises à débat et comment les uns et les autres défendent leurs points de vue. Les quelques avis retenus par les chroniqueurs sont exprimés en dehors des séances quand les positions se durcissent.
En guise de conclusion : pourquoi le respect d’Ahmed Bey des avis de son diwan sont mal vues par le Duc de Rovigo et les coloniaux ? Pourquoi n’y ont-ils pas vu une amorce de « démocratie » ? La question mérite t-elle d’être posée ?
- Bibliographie/
- Temimi, Abdeldjelil, Le Beylik de Constantine et Hadj Ahmed bey (1830-1837), Tunis, Publications de la Revue d’Histoire Maghrébine, vol.1, 1978.
- Vayssettes, Eugène, Histoire de Constantine sous la domination turque de 1517-1837, prés. Ouarda Siari- Tengour, Editions Bouchène, 2002.
- بن عثمان خوجة الجزائري، حمدان، المرآة،( لحمة تاريخية وإحصائية على إسالة الجزائر)
عربه وقدم له وعلق عله وفهرسه د. محمد بن عبد الكريم، منشورات دار مكتبة الحياة، بيروت، لبنان، 1972.
- المدني، احمد توفيق، مذكرات احمد الشريف الزهار، نقيب اشراف الجزائر، الشركة الزطنية للنشر والتوزيع، الجزائر، 1974.
- معاشي، جميلة، الأسر المحلية الحاكمة في بايلك الشرق الجزائري، من القرن 10هـ/(16م) إلى 13هـ(19م)، ديوان المطبوعات الجامعية، 2015.